Republication, vu que je pouvais pas changer le jeu.

Winter Voices est un genre de T-RPG/Visual Novel, réalisé par le studio français Beyond the Pillars, qui a coulé en cours de route mais qui a pu finir le jeu sous un autre nom, Inner seas. Le jeu est sorti sous forme d'épisodes, 6 plus un prologue, le dernier épisode étant sorti il y a un peu moins d'un an, pour une durée totale de 25h environ.

C'est un jeu intéressant. L'approche est intéressante. Est-elle efficace ? Oui et non.

On incarne une héroïne sans nom, "vous", à la manière des livres dont vous êtes le héros, revenant au chevet de son père mourant dans un patelin paumé, perché au fin fond de montagnes glaciales. Et c'est à ce moment-là que l'héroïne va avoir des visions d'ombres l'assaillant, la harcelant psychologiquement, et ce pendant tout le long trajet qui la mènera à la capitale pour répandre les cendres de son père dans la mer.
Le jeu ne consiste qu'en ça : le processus psychologique du deuil, la peur d'autrui, puis l'envie de vivre face aux éléments déchainés alors qu'on est désormais seule au monde, etc... C'est sûr, c'est pas très épique, mais il n'est pas déplaisant de retourner aux fondamentaux. Et s'il y a un cadre posé, mâtiné de mythologie scandinave, de révolution industrielle, et de troubles politiques (et d'au moins 50cm de poudreuse), il est dosé juste ce qu'il faut pour ne servir que de background, sans rien étouffer.

Ces combats intérieurs (qui se produisent généralement lorsque l'héroïne dort - parfois même debout) sont les seuls combats du jeu (et vous ne contrôlez qu'un personnage) et il faudra la plupart du temps s'échapper, repousser l'ennemi, l'éloigner de vous, plutôt que de l'abattre. En réalité, ce qui fait tout l'intérêt du jeu c'est l'inventivité des situations de combat qui se renouvellent sans cesse ; si au début vous n'aurez qu'à atteindre un point donné ou survivre X tours, par la suite il vous faudra détecter tous les ennemis, trouver le bon chemin alors que le blizzard vous repousse sans cesse, déplacer les ennemis vers des points précis, etc.
L'arbre des talents suit la même logique : vous pourrez ainsi obtenir des compétences vous permettant de faire apparaître des pièges/ennemis, vous fondre parmi eux, augmenter votre distance de déplacement, créer un leurre, etc...
Les combats ont plus des allures d'énigme qu'autre chose, et souvent, vous pourrez finir le combat même si vous vous êtes fait tuer, si tant est que vous avez atteint un certain pourcentage de réussite (par exemple si vous avez réussi à faire 80% du chemin).
Mais c'est là que le bât blesse : aucun combat n'est accessoire, ce qui empêche donc la fuite ou le grind, et la variété des situations et des talents est telle que le jeu s'avère certainement très difficile à équilibrer et qu'on se prend régulièrement des murs de difficulté auxquels on n'y peut rien - et c'est certainement le plus gros point noir du jeu.

Qui plus est, le jeu est pas mal buggé. Il s'agit très rarement de bugs graves, car la plupart du temps c'est hors combat : vous quittez la map en même temps que vous étiez censé parler à un PNJ bam vous restez coincé sur un écran noir, les collisions sont mal gérées, le pathfinding un peu foireux, une anim tourne en boucle, le son disparaît... C'est blindé de petits bugs mineurs - mais quand cela arrive en combat c'est bien souvent fatal.
Or on est dans un tactical, et donc chaque combat est loooooong (et souvent en plusieurs phases, or un échec peut vous faire recommencer TOUTES les phases)... à l'image du jeu. Honnêtement, il aurait pu faire moitié moins en termes de durée de vie. Il aurait dû. Car le jeu accumule les erreurs à ce niveau-là. De un, la vitesse de déplacement de l'héroïne. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont joué à Syberia, mais c'était à s'arracher les cheveux. Là c'est pareil, vous allez observer votre personnage traverser la map à 2 à l'h en combattant l'envie de vous endormir sur votre clavier. Est-ce un bien ou un mal, il n'y a pas beaucoup d'exploration dans le jeu. Le problème, c'est que vous êtes tenté de le faire, mais que finalement il n'y a rien à faire.
De deux, le jeu est extrêmement, EXTRÊMENT bavard. Verbeux même. On veut tellement jouer sur le processus psychologique, faire passer le ressenti du personnage, que ça décrit, que ça radote, que ça se noie dans des tonnes et des tonnes de texte. Heureusement ils sont plutôt agréables à lire (malgré quelques fautes récurrentes du genre chuchotTer, balLader, j'aurai/s et autre marcherai/s etc.), mais ils demeurent pendant les 2/3 du jeu carrément opaques à toute compréhension.
Le texte parvient à transmettre l'état d'esprit, les émotions, l'angoisse, encore une fois c'est bien écrit (et on voit tout de suite que le français est bien la langue d'origine du jeu, du fait de la maîtrise des nuances de la langue) mais il finit par devenir trop lourd à digérer, surtout dans la mesure où c'est pas *hyper* joyeux.
De trois, l'histoire ne mérite tout simplement pas d'être aussi étirée en longueur. C'est triste à dire, mais quand vous vous retrouvez à faire du "je clique une fois pour que mon perso traverse la map/il arrive à un refuge/il dort donc combat/je sors de la map" en boucle pendant 2h de jeu c'est qu'il y a un problème.

Et le dernier point, ça concerne la réalisation. Les graphismes ne sont pas désastreux, mais ils ne sont pas bons non plus, qu'il s'agisse des portraits au style franchement particulier (qui ne correpond pas au reste), aux décors manquant de personnalité, aux sprites répétitifs, ou à l'interface austère et mal structurée (voire encore une fois buguée). Surtout, ben paysages hivernaux aidant, ça n'est décidément pas très varié. On ne va pas se le cacher, c'est très cheap, et le manque de moyens se ressent.
Les musiques sont pas mal (quoique parfois étrangement absentes) et aident à rentrer dans le jeu, mais l'ensemble reste austère, et vous laisse généralement sur le pas de la porte. Niveau son, on notera également l'étrange choix d'entendre un narrateur masculin parler parfois, et s'attribuer le "je" de l'héroïne.

A force de se retrouver dans un univers où l'héroïne donc le joueur se sent en inadéquation, il est difficile d'avoir envie d'y revenir. D'autant plus lorsqu'on ne comprend pas pendant la moitié du jeu les raisons du trouble de l'héroïne, qui s'avère ne pas consister qu'en la mort de son père, mais ça, ça met un sacré bout de temps à sortir. Quand on a enfin l'impression de voir le bout du tunnel et d'avoir accompli quelque chose, c'est pour la voir replonger dans ses traumatismes.
Et c'est d'autant plus frustrant quand comme moi, vous n'avez pas réellement eu accès au dénouement final du fait d'un combat trop difficile et à trop de phases, et que dégouté vous avez abdiqué et vous êtes confronté à un épilogue sans la saveur de l'exploit accompli.

 

En résumé, il s'agit d'un jeu à l'approche osée, à la narration très travaillée, au système de combat très intéressant, mais décidément trop austère, mal équilibré, verbeux et trop étiré en longueur. Si néanmoins vous voulez tenter l'aventure, chaque épisode coûte 5$ (probablement 5¤) avec un prix pour le pack complet de 20$ (probablement 20¤). J'ai personnellement profité des dernières soldes steam pour me le procurer à 5$, même si je pense que le prix correct pour un tel jeu est autour de 15$.

PS : ah oui, Stark signifie "austère".